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Desolation row

Desolation row – Bob Dylan 1965

Ce récit énigmatique prend tout son sens lorsque l’on sait interpréter les images, les allusions, les événements et les personnages qu’il évoque.

La chanson débute par des réminiscences de l’enfance de Dylan et évolue en une longue parade fellinienne au rythme effréné, dans laquelle se bouscule une multitude de personnages historiques et grotesques. Écrit en 1965, dans un climat de paranoïa nucléaire, le texte évoque les horreurs d’un passé récent, l’incertitude du présent et les menaces d’un futur proche.

Par commodité de lecture, les annotations suivent chaque couplet et le texte original, la traduction.

I.G.

***

Impasse des Catastrophes

 

I

 

Ils vendent des cartes postales de la pendaison, 1

Ils passent les passeports à l’encre brune, 2

Le salon de beauté est bourré de marins, 3

Le cirque est arrivé en ville.4

Voilà maintenant que déboule le préfet qu’a des problèmes de vue, 5

Ils l’ont mis dans un sale état,

Une main, agrippée à un funambule

L’autre dans l’pantalon.

Les brigades antiémeutes sont là qui piaffent d’impatience,

Elles n’attendent plus que l’ordre de charger.

Pendant ce temps-là, Madame et votre serviteur, on jette un coup d’œil

Depuis l’Impasse des Catastrophes.

 

(1)   Bob Dylan est né en 1941 dans la ville de Duluth en Arizona.

Le 15 juin 1920, six hommes noirs, employés d’un cirque ambulant, furent accusés injustement de viol. Une centaine de blancs de la ville les firent sortir de la prison, pour les lyncher. Une photographie fut prise pour commémorer l’évènement. Cette photo fut ensuite vendue sous forme de carte postale. L’évènement est d’autant plus prégnant dans l’esprit de Dylan que son père alors âgé de huit ans en fut un témoin direct.

(2)   En référence à la couleur de peau. Le principal employeur de la région U.S STEEL., avait largement contribué à alimenter le conflit racial, en embauchant massivement des ouvriers noirs sous-payés et non syndiqués.

(3)   Au début de la Première Guerre mondiale, beaucoup d’hommes de Duluth s’engagèrent dans la marine. Ils rentrèrent chez eux en héros, mais dans les années vingt, beaucoup d’entre eux furent remplacés par des noirs. De nombreux marins sans emploi se plaignaient de leur condition.

(4)   Il s’agit du “John Robinson Circus” qui employait les six hommes qui ont été lynchés.

(5)   William Murian, était le préfet de police de l’époque, lorsque la troupe de lyncheurs se forma, il empêcha la police de se servir de ses armes et refusa le soutien de l’armée, pour mâter l’émeute.

 

II

 

Cendrillon a l’air à son aise,6

“Qui se ressemble s’assemble” pense-t-elle en souriant,

Et puis, elle glisse les mains dans ses poches arrière,

Un peu à la Bette Davis7

Et voilà Roméo qui soupire8 :

“J’crois bien qu’tu m’appartiens”

Mais un type lui dit : “hé ! tu t’es trompé d’endroit, mon pote !

Tu f’rais bien mieux d’foutre le camp !”

Et le seul bruit qu’on entende,

Après le départ des ambulances,

C’est le frottement du balai de Cendrillon,

Impasse des Catastrophes.

 

(6)   Il semble s’agir de Joseph Staline.

(7)   Actrice réputée pour ses rôles de méchante.

(8)  Il semble s’agir d’Adolph Hitler.

 

III

 

La lune est cachée par les nuages

Les étoiles commencent à disparaître.

La diseuse de bonne aventure

A même rangé tout son attirail.

Tout le monde, sauf Caïn, Abel,

Et aussi le bossu de Notre-Dame9,

Tout le monde s’envoie en l’air…

Ou bien attend l’averse10.

Le bon Samaritain se prépare,

Il s’habille pour la parade.

Ce soir c’est carnaval,

Impasse des Catastrophes.

 

(9)   Caïn Abel et le Bossu de Notre-Dame. Il peut s’agir des trois détenteurs de la puissance atomique Johnson, Kroutshov, et Mao, excluant la France et l’Angleterre. Caïn et Abel en tant que frères ennemis peuvent aussi faire référence à la Russie et la chine et le bossu de N.D. peut alors évoquer de Gaulle

(10) Allusion à une catastrophe nucléaire

(11) L’O.N.U.

 

 

IV

 

Tiens ! Ophélie est sous la fenêtre.12

J’me faisais un mouron d’encre pour elle,

Elle n’a pas encore vingt-deux ans13

Et c’est déjà une vieille fille !

Elle éprouve pour la mort un attrait romantique.

Elle est vêtue d’un corset de métal.

Son office reste sa seule religion

Et son péché, un dégoût insondable de la vie.

Bien que ses yeux soient rivés sur

Le grand arc-en-ciel de Noé,

Elle garde un œil attentif le plus clair de son temps sur

L’Impasse des Catastrophes14.

 

(12) Ophélie est l’archétype de l’héroïne déséquilibré et suicidaire. Elle représente ici la bombe atomique sous la forme d’un missile nucléaire dans sa rampe de lancement.

(13) La première bombe atomique explosa en 1945, soit 20 ans avant la rédaction du texte. Dylan ajoute-t-il à l’âge d’Ophélie le temps de sa gestation ?

(14) Il est ici fait référence au pouvoir dissuasif de l’arme atomique. L’arc-en-ciel de Noé représente la paix la sauvegarde et la reconstruction, mais tout en gardant un œil attentif sur les dangers potentiels. 

 

V

 

Einstein, déguisé en Robin des bois,

Avec des souvenirs, plein les bagages15,

Est passé par ici, il y a une heure à peine,

Avec son pote, une espèce de moine jaloux16.

Il avait l’air vraiment flippant,

Quand il a tapé une clope.

Et puis il s’est esquivé pour tirer sur un vieux chalumeau,

Tout en récitant l’alphabet17.

On n’ penserait pas, comme ça

Qu’y a un certain temps, il a eu son heure de gloire

En jouant du violon électrique,18

Impasse des Catastrophes.

 

(15) Albert Einstein a dû fuir le nazisme en émigrant aux États-Unis. Ses travaux ont été très utiles à la réalisation de l’arme atomique.

(16) Il s’agit sans doute de Robert Oppenheimer (l’inventeur de la bombe atomique) qui s’est référé à un verset de la Bhagavad-Gita pour évoquer ses travaux sur l’arme nucléaire.

(17) Confirmation de l’allusion à Einstein qui fumait la pipe et dont les études, abondaient de formules physiques exprimées en lettres alphabétiques

(18) Einstein jouait du violon.

 

VI

 

“Docteur l’ordure” il garde tout son p’tit monde19

Dans un gobelet en cuir,

Mais ses châtrés d’patients20,

Veulent tous lui faire la peau.

Son infirmière une ratée du coin

Surveille la fosse à cyanure21

Et aussi la pancarte où l’on peut lire :

“Ayez pitié de son âme.”

Ils jouent tous du sifflet ;22

On peut les entendre,

En tendant bien l’oreille, loin

De l’Impasse des Catastrophes.

 

(19) Victimes rescapées des expériences médicales d’Auschwitz

(20) il s’agit de Joseph Mengele, le funeste médecin des camps de la mort

(21) Évocation des chambres à gaz. L’acide cyanhydrique était le composant du Zyclon B

(22) Évocation des trains de la mort, qui s’annonçaient à l’approche du camp.

 

VII

 

De l’aut’ côté de la rue, on a dressé une tenture23.

Tout le monde se prépare pour la représentation :

“Le Fantôme de l’Opéra" 24,

Une parfaite incarnation du prêtre25.

Ils donnent à manger à Casanova à la petite cuiller26,

Pour ne pas qu’il s’révolte.

Ensuite, ils l’abattront en brandissant l’arme de sa propre conscience,

Après l’avoir gavé de mots empoisonnés27.

Et v’la l’fantôme qui hurle aux p’tites maigrichonnes28.

“Tirez-vous d’là, vous n’avez pas l’air d’comprendre que

Casanova, il a été puni parce qu’il traînait ses guêtres dans

L’Impasse des Catastrophes”

 

(23) Il s’agit sans doute du rideau de fer évoqué par Churchill

(24) Autre représentation de Staline

(25) On se souvient que Staline est un ancien séminariste

(26) Évocation des famines meurtrières dues aux restrictions des bolcheviques

(27) Évocation de la propagande bolchevique

(28) Victimes des famines

 

 

VIII

 

Minuit sonne, toute la clique d’agents

Et de surhommes patentés

Est dans la rue. Ils embarquent tous ceux

Qu’en savent un peu plus qu’eux.

Ils emmènent tout c’beau monde à l’usine tout

Là-bas. Ils portent sur leurs épaules

Une machine à infarctus,

Et de grands réservoirs déversent du kérosène.

Des hommes qui patrouillent,

Vérifient que personne ne puisse s’échapper

Vers l’Impasse des Catastrophes.

 

IX

 

Gloire à Neptune et à Néron !

Le Titanic appareille à l’aube29

Et tout le monde s’interpelle :

“De quel côté es-tu ?”

Ezra Pound et T.S. Eliot

Se chamaillent dans la tourelle du commandant,

Pendant qu’des chanteurs de Calypso rigolent en les voyant.

Des pêcheurs accrochent des fleurs

Entre les hublots,

Devant lesquels, nagent d’adorables sirènes.

Nul vraiment ne pense alors

À l’Impasse des Catastrophes.

 

(29) Face au danger imminent, les gens restent désunis

 

X

 

J’ai bien reçu ta lettre

(À l’instant même où la serrure de ma porte, se brisait30)

Elle me demandait si j’allais bien…

Non mais, tu plaisantes ou quoi ?

Tous ces gens dont tu parles,

Bien sûr que je les connais ! ils sont tous salement esquintés.

J’ai dû recomposer leur visage

Et leur donner un nouveau nom.

En ce moment j’suis pas très enclin à la lecture, tu sais.

Ne m’envoie plus de courrier,

À moins que tu ne le postes

De l’Impasse des Catastrophes

 

(30) L’image évoque une situation de danger inextricable. Les Russes viennent d’installer des rampes de missiles à Cuba, la menace nucléaire est alors obsessionnelle.

 

 

 Traduction Georges Ioannitis.

Tous droits réservés

 

***

Desolation Row 1965

Bob Dylan

I

 

They’re selling postcards of the hanging1
They’re painting the passports brown2
The beauty parlor is filled with sailors3
The circus is in town4
Here comes the blind commissioner5
They’ve got him in a trance
One hand is tied to the tight-rope walker
The other is in his pants
And the riot squad they’re restless
They need somewhere to go
As Lady and I look out tonight
From Desolation Row


II


Cinderella, she seems so easy6
“It takes one to know one,” she smiles
And puts her hands in her back pockets
Bette Davis style7
And in comes Romeo, he’s moaning8
“You Belong to Me I Believe”
And someone says, “You’re in the wrong place my friend
You better leave”
And the only sound that’s left
After the ambulances go
Is Cinderella sweeping up
On Desolation Row


III


Now the moon is almost hidden
The stars are beginning to hide
The fortune-telling lady
Has even taken all her things inside
All except for Cain and Abel 
And the hunchback of Notre Dame9
Everybody is making love
Or else expecting rain10
And the Good Samaritan, he’s dressing11
He’s getting ready for the show
He’s going to the carnival tonight
On Desolation Row


IV


Now Ophelia, she’s ’neath the window12
For her I feel so afraid
On her twenty-second birthday13
She already is an old maid
To her, death is quite romantic
She wears an iron vest
Her profession’s her religion
Her sin is her lifelessness
And though her eyes are fixed upon
Noah’s great rainbow
She spends her time peeking
Into Desolation Row14


V


Einstein, disguised as Robin Hood
With his memories in a trunk15
Passed this way an hour ago
With his friend, a jealous monk16
He looked so immaculately frightful
As he bummed a cigarette
Then he went off sniffing drainpipes
And reciting the alphabet17
Now you would not think to look at him
But he was famous long ago
For playing the electric violin18
On Desolation Row


VI


Dr. “Filth”, he keeps his world19
Inside of a leather cup
But all his sexless patients20
They’re trying to blow it up
Now his nurse, some local loser
She’s in charge of the cyanide hole21
And she also keeps the cards that read
“Have Mercy on His Soul”
They all play on pennywhistles22
You can hear them blow
If you lean your head out far enough
From Desolation Row


VII


Across the street they’ve nailed the curtains23
They’re getting ready for the feast
The Phantom of the Opera24
A perfect image of a priest25
They’re spoonfeeding Casanova26
To get him to feel more assured
Then they’ll kill him with self-confidence
After poisoning him with words27
And the Phantom’s shouting to skinny girls28
 “Get Outa Here If You Don’t Know
Casanova is just being punished for going
To Desolation Row”


VIII


Now at midnight all the agents
And the superhuman crew
Come out and round up everyone
That knows more than they do
Then they bring them to the factory
Where the heart-attack machine
Is strapped across their shoulders
And then the kerosene
Is brought down from the castles
By insurance men who go
Check to see that nobody is escaping
To Desolation Row


IX


Praise be to Nero’s Neptune
The Titanic sails at dawn29
And everybody’s shouting
“Which Side Are You On?”
And Ezra Pound and T. S. Eliot
Fighting in the captain’s tower
While calypso singers laugh at them
And fishermen hold flowers
Between the windows of the sea
Where lovely mermaids flow
And nobody has to think too much
About Desolation Row


X


Yes, I received your letter yesterday
(About the time the doorknob broke30
When you asked me how I was doing
Was that some kind of joke?
All these people that you mention
Yes, I know them, they’re quite lame
I had to rearrange their faces
And give them all another name
Right now I can’t read too good
Don’t send me no more letters, no
Not unless you mail them
From Desolation Row

 

 

****

 


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